Lettres aux prostitueurs de ma famille...

C'est pâques aujourd'hui.  On sera en famille dans quelques heures.  Pour célébrer quoi? Qui? On s'en fout, on sera rassemblé, comme ils nous arrivent de l'être quelques fois par année.

On sera dix, douze, quinze, ça dépend des minutes.  On parlera de sports, parce que les Canadiens sont en séries et qu'on s'est pas vu depuis les Olympiques, de voiture, parce que je m'en suis payé une nouvelle en vendant mon cul. Peut-être que vous éviterez le sujet au fond, pour ne pas en arriver là...



On parlera d'enfants, parce qu'on en a tous, d'animaux, parce que c'est si drôle, de technologie, pour vanter nos nouveaux gadgets...  On parlera de bien des choses, mais pas des vraies affaires, même si vous avez en majorité voté libéral.  

On ne parlera pas du fait que j'ai failli mourir, ni du fait que grand-mère est mourante et souffrante, ni du fait que la colère gronde dans la société et en moi, ni du fait que j'ai pris dix ans en deux ans, ni du fait qu'on s'est croisé aux danseuses il y a quelques mois...  

On parlera juste de belles choses, parce qu'on est là pour s'amuser et avoir du plaisir.  On a jamais parlé des vraies affaires.  

Si par hasard on ose parler politique, parce qu'il y a bien eu des élections dernièrement, quelqu'un me lancera un coup d’œil sévère, qui veut dire ''ta gueule'', laisse aller...  Et je laisserai aller, parce que j'ai compris avec les années.  

J'ai compris que vous ne changeriez pas. Que vos illusions sont trop solides et nécessaires à votre équilibre pour que j'ose les ébranler, que vos mensonges vous les croyez, que les problèmes vous les niez.  C'est facile quand on a de l'argent, et vous en avez, et vous avez choisi la facilité.  

Et quand j'ai voulu faire de même, mais que je n'ai rien eu d'autres à vendre que mon corps pour faire de l'argent, j'ai compris qui vous étiez vraiment, vous, les mecs qui m'ont vu grandir.

Je n'avais jamais fait attention à mon apparence avant qu'elle ne me rapporte, ou si peu.

Et quand je suis venu faire un tour aux derniers rassemblement familial, un brin sexy parce que c'étais entre deux ''contrats'', j'ai vu dans vos yeux.  L'envie, la surprise, le malaise...  Parce qu'avoir envie de sa nièce, de sa petite fille, de sa cousine qu'on a vu aux couches, ça met mal à l'aise on dirait, avouez?  

L'un m'a frôlé l'épaule mine de rien, l'autre m'a dit que ''ça m'allait bien'', et l'un s'est éclipsé à l'heure de la bise de départ.  Vous êtes vous branlés en pensant à moi après? Avez-vous regretté de ne pouvoir m'acheter à cause de nos liens familiaux?  Avez-vous parlé de moi à vos amis prostitueurs?  

Mais surtout...

Avez-vous pensé à m'aider?

Vous savez et je sais que vous savez, et vous savez que je sais, la vie est ainsi faite, vous étiez tous là ce soir là, quand j'ai fait mon show, même si avant la fin de mon numéro vous aviez fuit...

Je ne sais pas comment on réagit en tant que prostitueurs quand on constate qu'une femme qu'on a connu aux couches est ''officiellement achetable''.  Je ne sais pas comment on se sent quand on bande sur une ado ou sur une jeune femme à qui on a fait des ti galops il y a dix quinze ans.  Je ne sais pas comment vous vous sentez.  Mais je sais que votre regard à changé.  

Le mien aussi.  À tout jamais.  Je vous ai admiré déjà, envié aussi, j'ai voulu un homme comme vous dans ma vie.  Un homme qui a réussi, qui s'occupe des enfants, qui semble aimer sa femme.

Maintenant je vous méprise.  Parce que malgré toute votre argent, vous m'avez laissé là.  Vous avez fait comme si de rien n'était, vous avez fuit la vérité, ma misère, mon cul...  Et vous savez que je m'en suis sorti, vous savez pour l'hôpital, pour mon viol, pour ma guerre, parce que c'est arrivé à l'oreille de vos femmes...

Vous aimeriez que j'aie honte?  Que je n'ose plus me pointer?  Mais ça n'arrivera pas.  Je n'ai pas honte.  Je m'en suis sorti, je vous regarderai dans les yeux,  parce que je suis forte, et vous êtes faibles.  Je ne parlerai pas de notre rencontre, ça détruirais vos femmes et elles ne méritent pas ça.  Elles ne méritent pas de penser que c'est de leur faute si vous achetez d'autres femmes, elles ne méritent pas de savoir que vous m'avez laissé dans ma merde alors que vous auriez pu m'en sortir.  Vous ne les méritez pas en fait, mais vous les avez sans doute acheté elles aussi, en quelque sorte...

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