Briser le silence...

Ça fait un an que j'ai vraiment réalisé que je m'étais fait avoir par une industrie inhumaine et cruelle... Un an que je guéris en écrivant, en témoignant, en militant et en luttant, chaque jour, contre des démons qui me rongent depuis que trop de mains indésirables m'ont touchées (oui, j'étais de celles qui étais assez mal prises pour être touchée), et contre ce qui fait qu'en 2014 dans un pays dit civilisé, ça arrive encore à tant de femmes... Ça fait un an que je me révolte et que je tremble, de rage ou de peur, devant des institutions et individus plus calculateurs qu'humains, plus froids qu'un glacier et plus petits qu'un microbe au fond, mais aussi dangereux.  Ça fait plus qu'un an en fait, mais ça fait un an que ma colère à monté d'un cran, alors qu'elle est présente depuis très longtemps, puisque j'ai assisté à des injustices sociales toutes ma vie...  J'ai été révoltée dès l'adolescence, mais ça fait un an que j'en ai assez.

Faut évoluer dans la vie, c'est un de mes buts en tout cas, alors aujourd'hui j'évolue.  Je passe de ''j'en ai assez'' à ''j'en ai plus qu'assez''.  Je suis écœurée, j'ai envie de hurler, je suis en colère!!!! Et ne me dites pas que j'ai besoin de vacance ou de penser à moi, j'en ai assez d'entendre ça aussi...  Je pense à moi quand je milite, je pense à moi quand j'aide d'autres femmes, je pense à moi quand j'essaie de faire le bien, parce que ça me fait du bien de faire le bien.  C'est profondément thérapeutique et je vais utiliser cette thérapie pour le reste de ma vie, parce que même si je suis écœurée ce soir, en général je vais très bien considérant ou j'étais il y a deux ans.  Ça irait mieux si faire du bien aux autres humains étaient plus simples que faire du mal aux autres humains, mais ça va quand même...

Est-ce que c'est les réponses négatives que Le CAFES à reçu dernièrement d'institutions ayant les moyens de nous aider mais bloquant sur des détails qui expliquent mon écoeurement?  En partie peut-être, mais je comprends quand même...  On peut pas aider tout le monde, je suis bien placé pour le savoir...  C'est peut-être le fait que l'Ivac nous prends pour des connes mon avocate et moi?  C'est sur que ça aide pas et que ça attise ma colère.  Mais il y a autre chose.

Il y a ce besoin de hurler mon indignation que je retiens depuis un an.  Ça commence à me ronger.  Je m'en suis défait en parti, quand j'ai commencé à bloguer, et encore plus quand j'ai commencé à en parler en personne, et encore plus quand j'ai vu que ça réveillais certaines personnes, ou en aidait d'autres...  Mais ça ne suffit plus je crois.

Parce que ça fonctionne à moitié.  Ou que ça pourrait fonctionner plus.  Ou plus vite.  Je le vois bien. Quand je témoigne en personne, ça a plus d'impact.  Et je vois l'impact.  Je le ressens.  Et j'aime ressentir de belles choses, parce que c'est rare depuis que j'ai été exploitée et violée.  Quand on se dissocie trop souvent, intensément ou longtemps de son corps et de ses émotions, c'est dur de se les réapproprier, et étrangement, je ressens plus facilement la peur, la honte et la tristesse que la joie, la fierté et l'amour...  Peut-être parce que j'ai surtout ressentie de la peur, de la honte et de la tristesse lors de mon viol et de mon passage dans l'industrie du sexe.

Industrie de merde.

Je suis en colère contre ceux qui la font rouler.  Contre ceux qui la voient rouler sans faire le moindre petit geste pour l'arrêter.  Contre ceux qui la banalise ou l'ignore, trop occupés à s'occuper d'eux, et d'eux, et de leur petits à eux, et de leur chose à eux...  Je ne suis pas en colère contre eux, c'est faux, je suis envieuse. J'aimerais pouvoir ignorer aussi.  Juste un peu, de temps en temps.  Pas tout le temps, je suis quand même... fière d'avoir une conscience, mais de temps en temps, en restant bien ajun, j'aimerais oublier la merde contre laquelle je me bats.  Mais c'est impossible.  Et c'est tant mieux au fond.  Il en faut des cinglées de mon espèces pour faire bouger les choses.  Et ça passe vite au fond, quelques paragraphes et je vais déjà mieux!  Mais j'en ai assez quand même.

Je veux que ça ne soit plus possible d'ignorer la détresse des femmes exploitées et des survivantes de la prostitution.  Je veux que ça ne soit plus possible de croire qu'on peut en sortir sans séquelle.  Je veux que ce soit évident que l'industrie du sexe est violente.  Je veux beaucoup, je sais.  Je veux l'égalité et la justice en plus, et des calinours qui me bordent chaque soir...  Mais ça c'est rien, on est nombreuses à le vouloir.

Ce que je veux de plus en plus, et qui fait moins l'unanimité, c'est briser le silence pour vrai.  Sans me cacher sous un faux nom et derrière un dessin, comme si j'avais honte, comme si j'étais coupable, comme si c'était moi la fautive.  Et sans avoir peur que mes proches aient hontes, et qu'ils se sentent coupables, comme si c'était eux les fautifs.  Ou qu'ils aient hontes, et qu'ils me fassent sentir coupable, en pensant que c'est moi la fautives...  J'aimerais assumer pleinement, sans penser à tout ça, que j'ai été exploitée sexuellement et violée sauvagement, que l'industrie du sexe m'a presque tué et qu'elle tue des tonnes de femmes chaque année, qui n'ont pas la chance que j'ai eu d'avoir une tonne de soutien.

Je veux témoigner de ce que je sais de cette industrie, et je veux le faire à visage découvert.  Parce que le faire en me cachant, c'est moins efficace pour réveiller les gens, mais aussi parce que j'ai passé trop de temps à utiliser un faux nom après avoir regretté de ne pas l'avoir fait dès mes débuts dans cette merde.  Je veux dénoncer à visage découvert pour que les hommes, les femmes et les institutions qui ont voulu m'intimider sachent qu'ils n'ont pas réussis, mais aussi pour montrer aux femmes qui sont dedans qu'il est possible d'en sortir.

Parce que j'écris à propos de mon passé et de la prostitution en générale, mais j'écris peu sur ma vie en générale.  Et malgré tout ce que j'ai vécue, et malgré toute ma colère, et malgré quelques emmerdes financières occasionnelles, je m'en sors.  Je suis à nouveau fonctionnelle et je mène une vie active.  Et je ne suis pas la seule.  On est plusieurs.  Mais il faut de l'aide pour en sortir, beaucoup d'aide.  Avant d'en sortir, pendant qu'on en sort et après qu'on en soient sorties.  Et si pour que de l'aide soit accessible à toutes les femmes il faut dénoncer les institutions qui nuisent et témoigner publiquement de la nécessité de cette aide, je suis prête à le faire.  Non.  Je veux le faire!

Reste à vérifier que c'est possible tout en poursuivant l'Ivac...  Ça serait vraiment le bout qu'en les dénonçant ouvertement je leur donne un outil pour me faire une autre offre ridicule.

Si c'est le cas je vais attendre, mais un jour, j'en aurai plus qu'assez d'en avoir assez, et j'en aurai fini avec eux, peu importe l'issue...  Au point ou j'en suis c'est une question de principes, il ne me restera rien après avoir remboursé l'aide sociale...

J'ai une amie qui en a aussi plus qu'assez d'en avoir assez et qui aimerait le dire ouvertement aussi, mais elle doit attendre qu'une enquête soit terminée...

J'en ai une autre qui perdrais à coup sur un emploi qu'elle adore... Un contrat qui fini dans quelques semaines...

C'est pour ça qu'on en a assez peut-être, parce que même quand on oses et qu'on est prêtes à assumer les risques psychologiques, on réalise qu'on peut pas plus, à cause des risques... Physiques...

Je nuirai quand même pas à une bataille que je mène depuis deux ans pour un besoin de hurler...  Et elle nuira quand même pas à une enquête qui s'éternise pour un besoin de hurler...  Et elle perdra pas un contrat sur lequel elle bûche depuis presque six mois pour un envie de hurler...

Heureusement qu'on est patientes...