Paroles d'escortes de luxes...

Je sais, pour avoir refusé d'en faire à quelques reprises, que les témoignages en personne, en vrai,
authentiques, à visages découvert, à voix non camouflés, blablabla... Ont un meilleur impact médiatique que ceux fait sous le couvert de l'anonymat.  Mais je m'en contrefout sérieusement. Je comprends totalement les 90% de femmes prostituées qui ne sont pas heureuses de l'être, et les femmes anciennement prostituées heureuses de ne plus l'être, de ne pas avoir envie de témoigner en dehors de l'anonymat. Je ne veux pas tant avoir un impact médiatique qu'aider les personnes prostituées à s'en sortir en fait, si c'est ce qu'elles souhaitent, évidemment.  Et je constate de plus en plus que ça fonctionne, à petite échelle certes, mais quand même.  Et lentement mais surement, j'ai récolté des témoignages que je publie, même s'ils sont anonymes, parce que lire des témoignages, ça aide des femmes à émerger je crois... Je constate.


Jasmine, ancienne escorte de luxe indépendante puis au sein d'une agence (de luxe):

- J'ai compris que ça dérapait un peu le jour ou j'ai réalisé qu'il me fallait avoir une dizaine de ''clients réguliers'' pour arriver sans me casser la tête et sans avoir à en chercher d'autres...  C'est là que j'aurais du arrêter et me trouver une vraie job. N'importe laquelle, y'a rien qui aurait été pire que ce qui s'est passé ensuite...  J'étais super sollicité par les agences, et j'ai fini par essayer.  Ça a dérapé encore plus.  J'ai l'impression que c'est là que j'ai ''tout'' perdu.  Mon semblant d'autonomie, ma liberté, mon argent...  Je ne sais pas trop comment ça s'est passé, mais j'aimerais que ce soit pas arrivé.


Sophia, ancienne escorte de luxe indépendante et masseuse dans un spa de luxe:

- Une fois j'ai pas pu travailler pendant une semaine, et quand je me suis mise à aller mieux, mon frigo a brisé, avec de la bouffe pour un mois dedans... Je m'étais promis de ne jamais faire plus que deux clients par jour, mais j'ai été tellement stressé avec l'argent que j'en ai fait 6 en même pas dix heures.  J'étais rassurée après, mais me suis dis que je perdais le contrôle... Mais je pense qu'il était déjà trop tard.  J'étais déjà dedans...  Je ne me sentais déjà plus capable de faire autre chose on dirait.  Et la je ne me sens même plus capable d'être escorte...

Cassy, ancienne escorte de luxe indépendante.

- Je ne sentais plus rien, ni la joie, ni la faim, ni la douleur, sauf quand j'étais avec mon chum.  Je l'aimais trop, mais je savais pas c'était quoi l'amour...  C'est juste plate que ce mec là ait aussi été celui qui insistait pour que je vende mon cul, et que j'aie été assez innocente pour penser qu'il m'aimait.  Je le sais ben asteur que c'est le cash que je rapportait qu'il aimait. Il le dépensait pas mal plus que moi et ne travaillait presque pas, ça me rendais folle parce que je voulais pas faire plein de clients et j'avais l'impression qu'il ne me donnait pas le choix mais qu'il haïssait ça...  Il me traitait de pute et de salope dès qu'on se chicanait.  C'est lui qui me suggérait de vendre mon cul, mais après il avait l'air de me trouver dégueulasse de l'avoir fait.  Il est parti quand j'ai du arrêter.  Mais j'ai arrêter pareil, sinon je serais morte je pense.  Ou encore plus folle.


Mahéva, escorte de luxe indépendante.

- C'est tellement facile trouver des clients sur internet, au début tu as des craintes un peu, tu sélectionnes, tu poses des questions, tu prends des précautions, et un jour tu tombes sur un que tu as mal sélectionné, et tu te sens conne, et tu te tannes des messages irrespectueux, ou haineux, ou les deux, et tu te dis que tu devrais engager quelqu'un pour ça...  Et pour ta sécurité aussi tant qu'à y être, puisque c'est plus toi qui sélectionne, et que bizarrement, tu te ramasses avec plus de mauvais clients qu'avant...  Et un moment donné, tu allumes que t'as pas juste trouver des clients sur internet, t'as trouvé toute un monde, toute une magouille, tout un réseaux, et que t'es salement pris dedans, même si tu t'étais promis de pas te faire prendre...  Alors tu te sens conne, et tu te sens seule...  Je suis tanné de me sentir conne, avant de faire ça, j'avais confiance en moi.


Sophie, ancienne serveuse sexy et escorte de luxe.

- Mon salaire de serveuse aurait suffit, mais j'étais souvent sollicité par les réguliers, et j'ai fini par dire oui. Ça m'a semblé si facile, j'ai fini par diminuer le resto de plus en plus, puis par ne rien faire d'autres que d'être prostitué.  Je disais que j'étais ''escorte de luxe'' parce que mes rendez-vous duraient plus qu'une baise et payaient bien, parce que je ne faisais pas que du sexe avec les hommes et les couples, parce que je n'avais pas trop de rendez-vous pour me tanner et être moralement affecté...  Mais un jour ça m'a frappé, peu importe les conditions dans lesquelles c'est fait, de la prostitution, c'est de la prostitution, et c'est pas un métier comme un autre.  Ni serveuse sexy, ni escorte, ni masseuse, ni même réceptionniste dans un salon...Quand j'ai réalisé ça, ça s'est mis à être difficile.  Alors je buvais de plus en plus, et je prenais des pilules aussi.  Ça m'a rendue dépressive tout ça, alors j'ai pris toutes mes pilules d'un coup.  Si j'étais morte, personne presque n'aurait su ce qui m'avait rendu si malheureuse.  Mais desfois j'aimerais quand même mieux être morte, parce que je suis pas morte, mais je suis pas forte.  J'ai l'impression d'avoir pris 20 ans en 5 ans...


Ces témoignages proviennent de femmes qui annoncent ou ont annoncé sur des sites internet québécois et dans des journaux québécois, ainsi que sur différents réseaux sociaux et/ou plate forme d'hébergement internet gratuite.  Il s'est passé 5 heures entre la première annonce et la première rencontre de celle à qui il a fallut le plus de temps pour ''trouver'' via internet, la première fois.

Merci


Je suis reconnaissante à ces femmes qui ont tout déclenché, avec la cause Bedford.

Je suis reconnaissante parce que, ce faisant, elles ont mis sur la place publique une question qu’il était temps qu’on se pose : on fait quoi avec la prostitution? la prostitution, c’est pas une fable, ça existe, pour vrai de vrai.

Je suis reconnaissante parce que, à cette question, de plus en plus de gens répondent : on la combat, et on aide les personnes qui y sont malgré elles, et celles qui n’arrivent pas à en sortir, et celles qui ont peur, et celles qui veulent de l’aide. Remarquez ici que je ne parle pas du 10% de celles et ceux qui se disent bien dans la prostitution et qui s’inquiètent des suites du projet de loi, qui, j’en suis certaine, ne les affectera pas, pas négativement en tout cas.  De toute façon ce ne sont pas les personnes qui ‘’sont bien en tant que prostituées (ou escortes de luxe, ou peu importe le ‘’titre’’) qui réagissent le plus, ni celles pour qui ça va pas. Ni même celles qui en sont sorties.  Celles et ceux qui réagissent le plus, ce sont celles et ceux qui exploitent autrui.  Que ce soit en les représentant, en les hébergeant, en leur trouvant des clients, en faisant mine de défendre leur droit. 

Celles et ceux qui réagissent le plus, c’est celles et ceux à qui ça rapportent le plus, parce qu’ils et elles ont peur de perdre de l’argent.  Et ce n’est pas aux filles concernées que ça rapporte le plus.

En tout cas…  Ce que je veux dire, c’est que je suis aussi reconnaissante pour la réaction des pro ‘’travail du sexe’’.  Votre réaction démontre bien vos intérêts réels, et ce n’est pas le bien-être des femmes, ça saute aux yeux, de plus en plus...


Ceux et celles qui capotent le plus, ce n’est pas les femmes prisent dans la prostitution ou qui en sont sortie sans en pimper d’autres, c’est celles qui en sont sorties en devenant maquerelles, et celles qui disent vouloir protéger le droit des ''travailleurs et travailleuses du sexe'' mais qui protègent en fait leur argent et/ou leurs subventions.  Ce sont les pimps de toutes sortes et les prostitueurs, bref, c’est ceux et celles à qui ça rapporte, et dans 90% des cas, c’est pas aux femmes prostituées que ça rapporte le plus.  Et ce 90% là, il ne se prononce pas beaucoup, c’est vrai, parce que les femmes qui sont la dedans, en majorité (je répète que je parle de la majorité, pas du 10% de femmes qui vivent bien leur prostitution), elles ne font pas tant d’argent que ça.  Pas assez pour les séquelles que ça laissent, pas assez pour ce qu’elles endurent, pas assez pour qu’un projet de loi abolitionnistes les effraie.  Y’a plus grand-chose qui effraie ce 90% là.  Pour être effrayé faut ressentir, et quand on est prostitué, on essaie de pas trop ressentir.  C’est une des séquelles qui me reste à soigner, mais en attendant, ça m'aide à supporter les menaces et courriels violents de ceux qui se sentent menacés par mes écrits.

Fac en gros, merci à celles et ceux qui ont ouvert le débat, et à celles et ceux qui, par leur façon de l'alimenter, démontrent bien à qui rapporte vraiment la prostitution.  Vraiment, merci.  Un gros merci.



Des témoignages de survivantes de la prostitution par centaine
Le projet de loi en bref
Pour sortir de la prostitution
Un travail comme un autre?

Les résultats de la consultation publique sur la prostitution au Canada

Les résultats de la consultation publique sur la prostitution sont sortis, voici quelques textes qui en parlent. C'est assez encourageant pour les personnes qui souhaitent l'adoption du modèle nordique, dans la mesure ou les résultats seront pris en considération dans la réécriture de la loi.  Ne nous emballons pas, c'est demain que tout ça sera officialisé je crois...

Un texte de Radio-Canada

Un texte de la Concertation des luttes à l'exploitation sexuelle

Un lien vers un texte récent de Sisyphe, un site d'information, d'opinion et d'analyse féministe

Les résultats finals de la consultation publique sur la prostitution, version PDF

En gros, la majorité des répondants sont en faveur du modèle nordique, criminalisant les acheteurs et les proxénètes, mais certains croient que des mesures d'encadrement devraient être mis en place, en lien avec la santé sexuelle des femmes et la possibilité d'engager du personnel, ce qui ouvre quand même la porte assez grande au proxénétisme selon moi...  Enfin, nous verrons, je dois avouer que j'ai hâte de savoir de quoi il en retourne...