La consultation, analyse et réponse d'une abolitionniste

Voici l'analyse des questions et les réponses d'une amie à la consultation publique sur la prostitution au Canada. Je trouvais effronté de publier cela et d'ainsi influencer sans vergogne les réponses de personnes ne sachant trop ou se situer, mais il semblerait que les groupes pro-légalisation n'hésitent pas à le faire, aussi, je ne vois pas pourquoi j'hésiterais.  Il faut parfois combattre le feu par le feu...

J’ai répondu à la consultation publique sur les infractions liées à la prostitution au Canada (http://bit.ly/1oAbHqx). J’ai travaillé avec des gens en situation de pauvreté extrême et des femmes ayant un vécu en lien avec la prostitution. Et je me tiens au courant des actualités, législations, opinions et faits divers dans ce domaine. 
Cela étant, il m’a semblé normal d’analyser les questions de la consultation avant d’y répondre le plus clairement possible. Cet exercice m’a semblé complexe même si je suis au fait de ces réalités et que j’écris et m’exprime sans difficulté. Aussi il m’a semblé que partager cette analyse et mes réponses pourrait aider des gens à y voir plus clair. Je ne prétends pas détenir la vérité, comme semblent le faire plusieurs supporters de la prostitution, mais contrairement à beaucoup d’entre eux, j’ai une expérience directe de cette activité.

1. À votre avis, lachat de services sexuels auprès d’un adulte devrait-il constituer une infraction criminelle? Devrait-il y avoir des exceptions? Veuillez préciser.

Est-ce bien des « services sexuels » que les hommes achètent, ou plutôt la soumission de la personne qui les rend? En payant pour du sexe, on n’achète pas le désir de l’autre mais bien son consentement, qu’elle ou il en ait ou non envie. Or, les lois citant le consentement précisent qu’il doit être libre et éclairé. Ce qui n’est pas le cas quand une femme est en situation de vulnérabilité. Il n’est plus libre puisqu’il est acheté, et il n’est pas éclairé à cause de cette vulnérabilité ou exploitation, constatées par des études chez presque toutes les femmes prostituées. Cette mauvaise formulation risque d’influencer les réponses.

De plus, je trouve l’expression « services sexuels » incohérente. Rétribuer des services en fait une occupation professionnelle, alors que la prostitution n’a rien à voir avec une profession. On ne rêve pas de devenir prostituée, aucune formation, diplôme ou expérience n’y mène, et aucun parent n’en rêve pour ses enfants. Activité habituellement forcée et temporaire, c’est loin d’être un métier, et la notion de « services sexuels » risque de biaiser les réponses.

Ma réponse :

OUI. L’achat de sexe devrait être criminalisé. Il exploite habituellement des facteurs de vulnérabilité comme l’adolescence, un passé de violence familiale, l’itinérance ou la fugue, et surtout une sévère précarité économique. Comme 89% des femmes en situation de prostitution disent souhaiter en sortir, il m’apparaît clair que payer pour du sexe est une forme de viol – un acte reconnu comme criminel.

2. À votre avis, la vente de services sexuels par un adulte devrait-elle constituer une infraction criminelle? Devrait-il y avoir des exceptions? Veuillez préciser.

La question est ambiguë, vu l’immense différence entre vendre un « service » offert de son propre chef ou par quelqu’un d’autre.
Faute d’être au fait des réalités de la prostitution, les répondant-e-s ne penseront peut être pas que la question met dans le même sac prostitué-e-s et proxénètes, alors que les femmes en situation d’être prostituées ont besoin de soutien et non de criminalisation.

Ma réponse

Pour moi vendre des services sexuels d’autrui, comme le fait toute une industrie, devrait constituer un acte criminel, au même titre qu’il est criminel d’être complice d’un viol. Par contre, le fait pour une personne de vendre sa propre activité ne devrait pas être pénalisé. Elle ne fait alors de mal à personne sauf elle-même, même si on nie ce préjudice tant qu’on est captive de la situation.

3. Si vous appuyez la vente ou l’achat de services sexuels, quelles restrictions prévoyant où et comment cela peut se dérouler devraient être imposées, le cas échéant? Veuillez préciser.

Encore une malheureuse ambigüité : on peut comprendre et être solidaire des femmes prostituées sans appuyer la vente et l’achat de sexe, mais ce non-appui peut donner l’impression que l’on juge les femmes dans cette situation.

Ma réponse :

Je n’appuie pas la vente et l’achat de services sexuels, mais je crois que les femmes dont la sexualité est achetée ou vendue ont droit à des ressources pour échapper à leurs exploiteurs.

4. Croyez-vous que le fait de bénéficier financièrement de la prostitution d’un adulte devrait constituer une infraction criminelle? Devrait-il y avoir des exceptions? Veuillez préciser.

L’expression « bénéficier financièrement de la prostitution d’un adulte » est trop vague puisque la femme prostituée elle-même et ses enfants bénéficient, au moins en partie, de l’argent de la prostitution. Répondre oui à cette question risque donc de les revictimiser. Il aurait fallu parler clairement d’« adultes bénéficiant de la prostitution d’autrui ». Les réponses à cette question pourraient donc être mal interprétées.

Ma réponse :

Je crois que bénéficier financièrement de la prostitution d’autrui – que ce soit comme gérant, recruteur, chauffeur, garde du corps, publicitaire ou autre – devrait être pénalisé. Ces situations de proxénétisme connaissent une incidence extrême de domination et d’exploitation, d’autant plus difficile à vérifier cas par cas à cause justement de ce rapport de domination.

5. Avez-vous d’autres commentaires que vous souhaitez faire pour éclairer la réponse du gouvernement à l’arrêt Bedford?

Ma réponse :

De plus en plus d’études démontrent que les pays ayant banalisé la prostitution ne constatent pas les résultats promis, mais plutôt une hausse de l’exploitation sexuelle et de crimes qui y sont associés et une baisse des conditions de vie et du bien-être général des femmes. Je crois donc que le Canada devrait plutôt dissuader ce marché en pénalisant les acheteurs de sexe et les proxénètes. Des mesures sociales concrètes doivent être rapidement mises en place pour aider les femmes qui le souhaitent à sortir de la prostitution et subvenir à leurs besoins. Il faut des mesures de prévention à l’intention des groupes les plus vulnérables et des mesures d’éducation populaire pour dissuader les hommes de dominer, exploiter et asservir sexuellement d’autres êtres.

6. Écrivez-vous au nom d’une organisation? Si tel est le cas, veuillez fournir le nom de l’organisation et le titre de votre poste ou votre rôle : 

Non, j’écris en tant que femme et mère d’enfants que je ne souhaite pas voir devenir prostitueurs ou prostituées.

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